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Album Mme Bovary
 

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Madame Bovary
 
 
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Madame Bovary

Madame Bovary ? C’est moi !

Écrire ? oui, bien sûr ! une thèse, des livres d’histoire sur la Grèce ancienne tant que j’ai cru devenir archéologue, puis sur la France de l’après-guerre durant les années où j’ai travaillé à l’Institut Charles-de-Gaulle, sur la négociation de l’indépendance de l’Algérie lorsque Bernard Tricot m’a donné accès à ses archives personnelles. Mais un roman… jamais je n’y avais songé avant de commencer à écrire Les Ombres du levant. Et puis cela s’est imposé à moi. Simplement. Au moment de ma vie où il fallait que j’en élimine une fois pour toutes le manipulateur au charme toxique que j’évoque dans l’éclat « Mon mec à moi ».

Et tout aussi simplement m’est venue l’idée, pour me purger de ce que j’avais besoin de dire là-dessus – une passion ratée, à Paris, dans les années 1980 –, de raconter une histoire qui se déroule entre Beyrouth dans les années 20 et Athènes en 1944, en passant par Nuremberg, la Turquie, l’Égypte, Vichy, les maquis grecs… dans laquelle tout est vrai parce que tout est inventé.

Ce roman-là était aussi plein de mon admiration pour Le Quatuor d’Alexandrie de Durrell et Cités à la dérive de Tsirkas, deux de mes très grands livres ; comme ma Quatrième Révélation est un hommage à Dumas et Anatole France. Je n’aime que les romans qui me font découvrir un univers, qui racontent une histoire, une époque, qui mettent aux prises un destin avec le monde : Fabrice ou Julien, le Zénon de L’Œuvre au noir ou la Sophie du Coup de grâce, les marins paumés en mer de Chine du Quart de Kavvadias, ou bien… Bouvard et Pécuchet !

 

Kavvadias

 

J’aime les romans de bruit et de fureur – La Liberté ou la mort de Kazantzaki, Terres de sang de Dido Sotiriou ou Les Puissances des ténèbres de Burgess – et, pour moi, la plus belle première phrase d’un livre, c’est celle des Conquérants de Malraux : « La grève générale est décrétée à Canton ». J’aime les romans qui dissèquent une époque, une société, avec autant d’acuité que d’ironie – Papadiamantis, Kallifatides ou Taktsis, Maupin, Irving ou Lodge ; j’aime qu’on m’embarque, qu’on m’amuse, qu’on me tienne en haleine.

J’aime la langue ; je suis hermétique aux vanités stylistiques qui prétendent la renouveler, la déstructurer ou la violer, plutôt que la cultiver, la caresser et lui faire l’amour. Je sais que je suis littérairement incorrect mais, pour moi, le fond est indissociable de la forme : je suis par exemple incapable de lire Céline – dont l’écriture, d’ailleurs, ne me captive pas plus que les saloperies qu’elle véhicule. Je ne suis ni amateur d’insignifiance (la description par le menu des sensations qu’on éprouve à boire un verre de limonade éventée m’emmerde) ni adepte de l’autofiction. « Sous l’artiste, on veut atteindre l’homme. Grattons jusqu’à la honte la fresque. Nous finirons par trouver le plâtre », écrivait Malraux dans sa Psychologie de l’art, à propos de l’essai de Freud sur Vinci.

Aussi lorsque Régine Foucault, qui a conçu et réalisé ce site (mille mercis Régine !), m’a demandé d’y introduire une partie biographique, cela m’a-t-il plongé dans l’expectative. Raconter ma vie me semblait inutile, sans intérêt, un brin ridicule. Comme l’écrit encore Malraux, dans La Condition humaine cette fois : « un homme est la somme de ses actes, de ce qu’il a fait, de ce qu’il peut faire ». Quant au « misérable petit tas de secrets », dont il parle dans La Lutte avec l’ange, si j’en suis pétri comme tout le monde, je ne vois pas qu’il soit susceptible d’intéresser quiconque – sinon mon potentiel thérapeute au cas où, un jour, j’aurais besoin d’une thérapie. Mes livres sont mes actes. Ils sont ce que je suis, ce que j’aime et ce que je hais, ce que j’ai fait et ce que je peux faire de plus intéressant.

Quel intérêt pour qui viendrait se balader sur ce site, de savoir, si tel était le cas et qu’il ne s’agisse pas d’une ficelle pour appâter le chaland, que j’aime les fruits pourris ou les yaourts avariés ? que je fus naguère assez souple ou trop raide pour pratiquer l’autofellation ? Je suis hédoniste, pas exhibitionniste. En tout cas pas en littérature.

Et puis la fascination de Narcisse pour lui-même ne conduit pas seulement le bel Ameinias (car dans le mythe originel – le béotien –, ce ne sont pas des nymphes qui sont amoureuses de Narcisse) à se supprimer en appelant la malédiction des dieux sur le responsable de son désespoir, elle finit aussi par mener Narcisse au suicide : la passion qu’on s’inspire est toujours sans issue.

L’obsession du moi dans ses différents avatars (la joie ou la difficulté qu’une normalienne éprouve à enfanter, les états d’âme égotistes d’un pauvre petit garçon riche devenu publicitaire, le compte rendu chirurgical et répétitif des rapports contaminés et contaminants d’un grand bourgeois en révolte contre son milieu au point de se faire magistrat, sans parler de l’inépuisable mine des relations problématiques avec un papa ou une maman de préférence célèbre – on écrit forcément mieux des choses forcément passionnantes, en France, dès qu’on est le rejeton de Quelqu’un…) est à mes yeux une grave maladie de la littérature française – suicidaire. Et pas seulement parce qu’elle surencombre les tables des libraires d’autoscrutations nombriliennes aussi interchangeables que privées d’intérêt. Elle est suicidaire parce qu’elle oublie que la littérature, comme tout art, est travail sur le monde, pas seulement sur soi ; métamorphose, pas régurgitation. Elle l’est au même titre que la jean-foutrerie qui consiste à prétendre qu’on ne pourrait plus écrire de roman après Joyce, Céline ou Auschwitz.

Poncif d’écrivains, d’éditeurs et de critiques qui, depuis des lustres, ont imposé leurs partis pris esthétiques comme la norme, tout en célébrant des romanciers anglo-saxons… qu’ils ne liraient, n’éditeraient ni ne porteraient aux nues s’ils n’étaient anglais ou américains, tant leurs livres sont l’exact négatif de cette Norme Française. Des romanciers qui n’ont pas oublié, eux, le simple plaisir de construire une intrigue et de raconter, le goût de camper des caractères, de humer le vent du large et de répercuter le vacarme du monde.


Kavafis

 

Je suis décidément du côté de Voltaire et ses contes, contre Rousseau et ses Confessions. J’aime Flaubert à la fois pour son souci de la langue et pour son regard sur la société de son temps ou sur la révolution de 1848 dans L’Éducation sentimentale. Stendhal me passionne parce que La Chartreuse de Parme (le livre que j’ai le plus de fois relu) est aussi un grand roman politique, et que Le Rouge et le noir peint les vanités, les tares et les turpitudes de la classe dominante sous la Restauration comme aucun romancier français n’oserait s’en prendre aujourd’hui à celles du système Sarkozy. L’anticléricalisme salutaire et féroce d’Anatole France me fait jubiler, pas les surréalistes qui l’ont conchié ; et j’échangerais volontiers tout le nouveau roman contre Thérèse Desqueyroux ou Le Nœud de vipères.

Mes romans ne me racontent pas ; je ne m’y observe ni ne m’y auto-analyse. C’est pour cela que j’y suis tout entier, avec mes convictions et mon ironie, mes excès et ma mauvaise foi. Ils sont ce que je suis parce qu’ils sont pleins d’histoires que je n’ai jamais vécues. Ils transposent, ils déforment et métamorphosent, mais ils disent bien mieux qu’une confession quels sont mes failles et mes angoisses, mes ancrages et mes passions.

Dans le texte oeuvres d' Arnaud Roy

 
"Si vos personnages ne parlent pas politique..."