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Parents La Grèce Album général
 

Repères biographiques

 
 

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Mes parents
 
 
 
 
 
rome
 
 
Camping
 
 
Sous la tente
 
 
Olivier-Pouilles
 
 
Taquinia
 
 
Paestum
 
 
Spartacus
 
 

 



Je leur dois tant ! Et d’abord de m’avoir donné la vie un 14 mars, en 1958, du côté de Chalon-sur-Saône, ce qui, si on croit aux astres (en ce qui me concerne, ça dépend des jours et des humeurs, si ça m’arrange ou pas…), fait de moi un Poisson ascendant Taureau, un mélange qui me va plutôt bien : rêveur et jouisseur, entre deux eaux mais les pieds sur terre, cérébral et fonceur.

Sans compter que, non contents de m’avoir mis au monde, ils m’ont donné autant d’amour qu’un petit d’homme peut en espérer : ça vous procure de sacrés atouts dans l’existence ! Ensuite, on a beau se retrouver confronté aux mêmes difficultés que n’importe qui, aux mêmes échecs et aux mêmes interrogations sur soi, l’amour reçu vous donne une espèce d’assurance, de socle inébranlable sur lequel on peut s’appuyer pour repartir de l’avant. Il est arrivé, bien sûr, qu’on s’engueule, qu’on se déchire, et mon coming out a franchement tourné au vinaigre, entre maman et moi. Mais si j’ai souffert d’une réaction où se mêlaient les fausses images, la crainte des dangers auxquels m’exposait mon « choix », le deuil de certains espoirs…, je savais aussi qu’elle exprimait – mal, à mes yeux – son amour, non qu’elle le remettait en cause. Si bien que, une fois la tempête apaisée, nous avons su renouer les liens, petit à petit, et reconstruire, plus solidement qu’avant peut-être.

 

Châlon

 

Mes parents n’ont donc jamais lésiné sur l’amour, mais pas davantage sur l’exigence. On dirait aujourd’hui qu’ils étaient sévères ; moi, je pense qu’en plus du socle, ils m’ont donné une colonne vertébrale.

Avant que, au début des années soixante-dix, ils ne décident de quitter Chalon, la famille, les amis, un « Chauffage Delorme » (mon grand-père et ses deux fils fabriquaient, installaient, vendaient poêles et cuisinières) qui vivotait de plus en plus difficilement, nous avons parfois vécu à la limite de la gêne. Mais je ne m’en suis aperçu que bien des années plus tard. La plainte n’a jamais été un air que j’ai beaucoup entendu chanter à la maison.

À quarante ans passés, mon père a réussi une audacieuse reconversion professionnelle qui nous a fait « monter » en banlieue parisienne et nous a procuré une certaine aisance… avant que le système ne le jette, après cinquante ans, parce qu’il était trop vieux et qu’il coûtait trop cher. J’y ai gagné la possibilité de faire les études longues que je souhaitais, mais aussi la conviction qu’il vaut mieux risquer que subir, prendre sa vie en mains plutôt que se résigner.

Les études ! Ma mère et mon père ont respectivement le brevet et le certificat d’études, mais la maison a toujours été pleine de livres (et sans télé), je les ai toujours vus curieux, en éveil, passionnés par un bouquin ou la visite d’un musée, désirant plus que tout nous voir profiter, ma sœur et moi, d’un enseignement qui ne leur avait pas été accessible. Elle et moi, nous avons toujours su qu’ils se saigneraient aux quatre veines pour pousser nos études aussi loin que nos projets l’exigeaient… si seulement nous travaillions, et tout en sachant que, dans le cas contraire, nous n’aurions aucune complaisance à attendre. J’ai obtenu l’agrégation d’histoire à vingt-quatre ans.

 

Départs

 

Désir de savoir, plaisir d’apprendre, curiosité des livres, ils m’ont transmis tous ces virus-là et, avec eux, celui du voyage. Car chaque année, nous partions trois semaines, même si, avant le départ ou après le retour, il fallait manger un peu plus de patates et de pâtes qu’à l’habitude. Je ne me rappelle jamais sans un pincement au cœur la joie et l’énervement des départs en pleine nuit, la vieille 404 verte, pleine à craquer, la glacière, la grande tente bleue, la vache à eau…

Ce fut d’abord la Costa brava de l’Espagne franquiste. Je n’ai pas compris tout de suite – forcément, j’avais quatre ou cinq ans –, mais parce que mes parents ne se contentaient pas de voyager, parce qu’ils rencontraient, parlaient, je me souviens avoir entendu raconter par un républicain sorti de prison depuis quelques années seulement que les deux calamités de son pays avaient pour nom mouches et curés.

 

Vesuve

 

Ensuite, nous sommes partis à la découverte de l’Italie, du nord jusqu’à l’extrême sud, et je me rappelle tout aussi nettement, à sept, huit ou dix ans, mon père racontant les éléphants d’Hannibal au lac de Trasimène, l'émerveillement contagieux de ma mère devant les petits chevaux de Tarquinia, ma trouille en montant au Vésuve après avoir joué au gladiateur à Pompéi, ou bien avoir su instantanément, face aux temples de Paestum, que le dorique était mon ordre architectural préféré.

Ces vacances m’ont construit : d’elles vient mon goût pour l’histoire, mon désir de devenir archéologue, mon plaisir à entendre parler une langue étrangère, à voir les gens vivre autrement, à manger comme eux, parler ou s’amuser avec eux. Elles ont fait de moi un Méditerranéen qui n’est vraiment heureux qu’au bord de cette mer de toutes les cultures, dans les odeurs de maquis, au milieu des oliviers et des figuiers.

 

Dans le Rubicon

 

Voilà l’essentiel ; j’ai eu une enfance heureuse, bénie des dieux, et je n’ai que des mercis à dire à mes parents. À mes grands-parents aussi d’ailleurs, à ma grand-mère maternelle qui a tant compté et compte toujours tant dans ma vie : souvent, face à un choix, c’est à elle que je songe en me demandant ce qu’elle aurait pensé de moi ; du bien forcément, parce que, pour moi, ses trésors d’indulgence étaient infinis.

 

Corinthe

 

Ah si ! encore une chose : à ma lignée paternelle je dois ma voix. Le reproche que me font le plus souvent mes étudiants, à Sciences po, lorsqu’ils évaluent leur maître de conf à la fin de l’année, c’est qu’il parle trop fort. À Chalon-sur-Saône, dans le quartier où j’ai grandi, entre la rue aux Fèvres, la place Saint-Vincent et la rue des Poulets, pour qualifier quelqu’un qu’on entendait de loin dès qu’il ouvrait la bouche, on disait qu’il avait « une voix de Delorme ».